Dans les coulisses des Envols

À quelques semaines de la première, nous avons interrogé les apprenti·es de dernière année sur le processus de création de leur numéro de fin d’études, Les Envols.
Cette année, iels sont six à présenter cinq numéros :
- Tom Bayard en acrobatie
- Louis Chardain en jonglage chapeaux
- Rayen Hernandez Mora en mains à mains (voltige)
- Ignacio Pinto Cebrian en mains à mains (portés)
- Mareen Pospisil en fil de fer
- Anthony Salgueiro en jonglage balles
De quoi t’es-tu inspiré·e pour ton numéro ?
Louis : « Je me suis inspiré de l’essai politique Le Plâtrier Siffleur de Christian Bobin, que j'ai découvert lors d’un cours d'écriture avec Françoise Lepoix. On parlait de « comment habiter poétiquement le monde ». Inspiré par cette problématique, j'ai écrit un texte sur le fait de regarder les mouches voler. Puis Françoise nous a présenté ce livre, qui m’a beaucoup plu. Il m’a rappelé mon numéro d’entrée en première année à l’Académie. Je trouvais intéressant de travailler sur un sujet similaire pour mon envol, ça me permettait de boucler la boucle ! »

Mareen : « J’ai d’abord eu l’idée d’un costume qui prend l’eau au fur et à mesure du numéro. Pour moi, l'eau est liée à la vie, parce qu’avant même de naître, on vit dans l’eau, le liquide amniotique. J’ai voulu retracer les étapes d’une vie, dès l’état de fœtus.

Sinon, j’ai été inspirée par une très vieille lettre japonaise, où l’auteur parle de mettre fin à ses jours. On ne sait pas si l’auteur est passé à l’acte et c’est justement cette fin ouverte qui m’a plu. Sauf que moi, je ne voulais pas parler de la mort, mais de la vie.
Autre texte qui m’a inspirée : 4.48 Psychosis de Sarah Kane.
Et puis, j’ai aussi vu le film Outrun, qui parle de la mythologie de la marée dans les îles irlandaises.
Pour la bande son de mon numéro, j’ai choisi le travail d’une artiste qui travaille le son dans l’eau.
Côté scénographie, je voulais quelque chose de simple. Je voulais que le public puisse imaginer, se laisser embarquer. »

Tom : « J'ai écrit mon numéro à la suite d’un cours d'écriture avec Françoise Lepoix. Ses cours m’ont beaucoup servi, elle m'a posé des questions qui m’ont fait énormément avancer.
On a aussi dû rédiger un travail de recherche pour l’Université Paris 8, qui m'a pas mal aidé à poser mes idées.
Sinon, je me suis beaucoup inspiré de la trilogie de romans Entre ciel et terre, la tristesse des anges, le cœur de l'homme de l’écrivain islandais Jón Kalman Stefánsson.
Après, je me suis inspiré de ma vie. On a de grandes images qui nous viennent comme la mort, l'enfance, la folie… J’ai cherché comment les mettre en scène de manière universelle, parce que je ne voulais pas que le rendu soit trop personnel. C'est là que j'ai trouvé l’idée du naufrage.
Mon numéro, c’est une espèce de condensé de vie, il y a l'enfance, la perte de naïveté, puis il y a ce à quoi on s'accroche pour continuer. Et moi je pense beaucoup à la poésie. »

Rayen et Ignacio : « On s’est inspirés de ce qu’on vit depuis qu’on est arrivés en France, il y a six ans. On a laissé derrière nous nos familles, nos amis, mais aussi la culture de notre pays.
L'absence peut être temporaire, mais elle peut aussi être pour toujours. Il y a quelques mois, on a perdu une amie.
On a eu ce besoin de lui rendre hommage.
On a voulu donner un espace physique à quelque chose qui ne l’est pas. Donner un espace à des personnes qui ne sont pas ici. Un bout d’imaginaire qu’on matérialise. »

Rayen : « Sinon, on a été inspirés par le spectacle Contre nature de Rachid Ouramdane, par le film Eternal Sunshine of the Spotless Mind et sa réflexion sur la mémoire, sur l’oubli… »

Ignacio : « Et puis dans le cadre du travail de recherche pour l’Université Paris 8, je me suis pas mal renseigné sur l’exil. Je me posais beaucoup de questions par rapport à ce mot. On parle d’exil politique, religieux, climatique… Dans notre cas à Rayen et moi, c’est un exil choisi, même si réussir au Chili dans le cirque c’est plus compliqué qu’en France. Est-ce qu’on pouvait parler d’exil dans notre cas ? Je ne voulais pas m’approprier un mot à tort. Mes recherches m’ont permis de comprendre que ce que l'on vit fait bien partie de l’exil. »
Anthony : « À l’occasion d’un stage de recherche en lumière animé par Carine Gérard, éclairagiste, j’ai commencé à expérimenter le jonglage avec un stroboscope.
Les jeux de lumière rendaient mes gestes hachés, les balles disparaissaient et réapparaissaient, suspendues dans une illusion de ralenti. Ça m’a tout de suite rappelé le praxinoscope, cet objet ancien qui transforme une suite d’images fixes en images animées par l’alternance lumière/obscurité.

Je me suis souvent interrogé sur le mot “jongler”. Dans le langage courant, il évoque souvent une surcharge, un désordre, une perte de contrôle : “je jongle avec plein de choses”. Pourtant, dans la tête du jongleur, c’est tout l’inverse ! Il y a de la concentration, de la structure, une attention précise. Ce décalage entre perception extérieure et réalité intérieure me fascine. J’ai trouvé que le stroboscope illustrait bien ce paradoxe. »

Si tu devais résumer tes années à l’Académie Fratellini ?
Louis : « J’ai rencontré plein de gens. Des apprenti·es, des professeur·es, des artistes...
J’ai beaucoup aimé la troisième année parce qu’avec Tom, on a interprété la création jeune public Ça a l'air facile mise en scène par Béné Borth. C’était enfin une création où on prenait le temps d'écrire !

Sur les créations précédentes avec Jean-Paul Lefebvre et Didier André, on n’avait que sept jours pour créer les spectacles. Avec Béné, on a pu prendre le temps, c'était super agréable.
J’ai beaucoup aimé mon année de préapprentissage aussi. Toutes les semaines, j'apprenais au moins une nouvelle figure. C'était super agréable d'avancer aussi vite. Quand je suis arrivé en première année, j'étais très bien préparé pour la suite.
Les trois années qui ont suivi, j'ai acquis un lâcher-prise dans le corps qui m'a aidé pour l'acrobatie notamment, mais aussi pour le jonglage. »
Mareen : « L’année de préapprentissage, c'était la meilleure pour moi parce que j'ai beaucoup appris. J'avais une professeure de fil pour moi toute seule pour la première fois de ma vie ! »
Tom : « C'était quatre années intenses. J'ai hâte de sortir et de conscientiser tout ce que j’ai appris et voir ce que je vais faire de tout ce qu'on m'a donné.
Ça fait un peu peur de plonger dans une autre phase de la vie, c’est l’inconnu. »
Rayen : « C'était super. Il y a eu des hauts et des bas, comme toujours dans la vie, mais être ici c'était déjà accomplir un rêve, donc c'était trop cool. »
Anthony : « Ces trois années n’ont pas toujours été simples, mais elles m’ont profondément transformé. J’ai appris à me connaître, à structurer mes idées.
Ma pratique s’est précisée. Autrefois attiré par tous les objets conventionnels de jonglerie, je me concentre aujourd’hui sur les balles, les massues et les balles rebond. »
L'Académie t'a proposé un accompagnement spécifique sur Les Envols ?
Mareen : « J’ai été accompagnée par Sanja Kosonen. J'ai eu une entorse en octobre, ce qui m’a permis de réfléchir à mon numéro. Et c'était justement le moment où Sanja était à l’Académie ! On a pu beaucoup discuter et écrire.
C’est une artiste incroyable. Elle n'est pas focalisée sur la technique et moi non plus. Bien sûr, dans nos envols, on veut montrer ce qu'on a appris à l’école, mais moi ce n’est pas mon but ultime, parce que déjà avec l'entorse, je savais que je ne pourrais pas tout récupérer à temps, mais surtout parce qu’il n’y en avait pas besoin. Par exemple, je n’ai pas mis de saut parce que ça ne raconterait rien. Ce n’est pas parce que c’est un numéro de fil de fer qu’il faut à tout prix mettre un saut. »

Rayen et Ignacio : « On est vraiment bien accompagnés. C’est trop chouette. Avec Françoise, on a travaillé la cohérence des textes qu’on avait écrits. Avec Julie Mondor, professeure de musique, on a beaucoup réfléchi à la composition et au montage des sons et des voix. On a aussi beaucoup parlé son avec Tal Agam, régisseuse son, et lumière avec Carine Gérard, éclairagiste. »
Ignacio : « Sinon, Anna Rodriguez, professeure de danse, nous accompagne depuis l’année de préapprentissage. Elle nous fait travailler notre présence sur scène. Ne pas dépendre du fait que quelqu’un nous regarde pour montrer ce qu’on veut dire et interpréter. Et aussi, comment travailler avec amour les portés. »
Rayen : « Le fait qu’on puisse parler espagnol avec Anna nous aide beaucoup. Moi, je sais que j’ai une distance émotionnelle avec la langue française.
On a travaillé avec Nicolas Mège aussi, qui est professeur de théâtre.
Et puis Alexei Anoufriev, qui est notre professeur référent en mains à mains depuis le préapprentissage.
Dernièrement, on a travaillé avec Maxime Pervakov et Maxime Seghers sur les portés. »
Pourquoi as-tu choisi ce costume ?
Louis : « J’ai repris le costume que je portais au concours d’entrée à l’Académie Fratellini.
Je me suis demandé au début si on n’allait pas me reprocher de recycler mon numéro d’entrée, mais en fait je suis content parce que je réutilise les outils que j'ai acquis à l'Académie et je sais encore plus pourquoi je les utilise aujourd'hui. »
Tom : « Je voulais quelque chose qui rappelle l’été et l’enfance. J'avais pensé à un short et un marcel, mais techniquement le marcel ne fonctionnait pas, parce qu’à un moment, je fais une figure où je glisse et sans tissu, ça brûle. Du coup, j'ai choisi un tee-shirt. »

Rayen : « En général, Ignacio est en pantalon et moi en short. Être en short pour faire de la voltige, c'est beaucoup plus agréable. Mais on a voulu essayer de sortir de ça pour donner une autre ambiance. On voulait aussi du confort. »
Ignacio : « Et être beaux. On voulait être bien habillés. »
Rayen : « Oui, c'est un moment important. On veut être beaux pour nos envols. »
Tu as hâte de t'envoler ?
Louis : « J'ai hâte de m'envoler parce que c'est quand même ma septième année en école de cirque (quatrième en école supérieure) donc il y a un moment, quand tu es docteur en cirque, il faut exercer ! »
Mareen : « J'ai très hâte ! J'ai aussi hâte de travailler sur le temps qui reste avant la première. »
Tom : « J'ai hâte. J'ai hâte parce que c'est beaucoup de stress. Mais avant ça, je profite du temps qu’il reste pour travailler, pour tout préciser. Mais oui, j'ai trop hâte. »
Ignacio : « J'ai hâte, mais je ne suis pas pressé.
Cette année, j'ai appris beaucoup de choses côté portés, création et montage son. Je profite du temps qu’il me reste pour continuer de travailler et profiter.
Mais j’ai hâte parce qu'il y a ma famille et mes amis qui viennent pour voir notre envol !
Mais en même temps, ça me stresse.
C’est marrant, finalement on va jouer un numéro où on parle de leur absence alors qu’ils seront là ! »
Des projets pour la suite ?
Louis : « Faire tourner le spectacle Ça a l'air facile avec Tom, parce que c'est un spectacle qui nous plaît énormément. Sinon, je commence à avoir des projets de jonglage mais pour l'instant rien de bien défini.
Ça va être une belle année, riche de découvertes. »

Mareen : « Je n'ai pas encore de projet mais j'ai hâte de voir ce qui va m'arriver ! »

Tom : « Pour l’année prochaine, on a un projet avec Louis Chardain, le spectacle jeune public Ça a l’air facile.
J'ai un projet avec des amis avec qui j’étais au Plus Petit Cirque du Monde aussi. On a déjà fait un spectacle et des résidences ensemble, on a une compagnie, la compagnie Mu. »

Rayen : « Déjà, je veux donner toute mon énergie pour clore l’étape que je suis en train de vivre. Donc pour l’instant, pas de projet. »

Ignacio : « J’ai envie de me reposer un peu. J’arrive à bien tenir mais j’ai besoin de faire une pause.
L’année prochaine, j’ai envie de revenir à quelque chose de plus intense et reprendre le rythme d’entraînement tous les jours.
Il va falloir activer tous nos réseaux, y compris ceux de l'école de Bordeaux. Peut-être qu’on va faire quelque chose avec l’Académie.
On a une association aussi, ParaKulture, qui est basée à Épinay. Il faut voir ce qu'on en fait. Depuis quatre ans, on organise un festival annuel contre tous les types de discrimination.
C'est la fin de beaucoup de choses, on va finir l'école, c’est peut-être la dernière édition du festival qu'on fait. On a envie d’aller au Chili aussi, peut-être jouer notre numéro là-bas... »
Si vous voulez vivre ce moment émouvant avec les apprenti·es de dernière année, rendez-vous les 20 et 21 juin à la MC93 (Bobigny) !